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Au dela du visible… rigoler en physiologie?

extrait de « LE CHARME DISCRET DE L’INTESTIN » de Giulia Enders

avec le livre en pdf à lire https://www.coinspire.fr/blog/2022/04/11/des-livres-de-yoga/

Et tandis que nous parcourons ainsi le monde en deux coups de cuillères à pot, nous passons à côté de quantité de choses formidables. Au plus profond de nous, en effet, sous le rempart protecteur de notre épiderme, on ne chôme pas : on écoule, on pompe, on aspire, on écrase, on désagrège, on répare et on réorganise. Toute une équipe d’organes sophistiqués s’active joyeusement, tant et si bien qu’en une heure, un adulte consomme à peu près autant d’énergie qu’une ampoule de 100 watts

Chaque seconde, nos reins filtrent et nettoient soigneusement notre sang – un peu comme un filtre à café, mais à un tout autre niveau de précision. Sans compter qu’en général, nos reins ne finissent pas à la poubelle aussitôt après usage… Et le poumon ? Le poumon, vous dis-je, est si malin qu’il n’utilise de l’énergie qu’au moment de l’inspiration. L’expiration, elle, se fait en mode automatique. Si nous étions transparents, notre poumon nous apparaîtrait dans toute sa beauté et nous pourrions alors voir dans sa masse cotonneuse cette machinerie bien huilée, comme mue par un remontoir. Enfin, qui n’a jamais songé, le cœur gros : “Personne ne m’aime”, alors que ce cœur, justement, entamait sa dix-sept-millième journée de travail de vingt-quatre heures – et aurait bien raison, en entendant ça, de se sentir un peu négligé ?

Si nous pouvions discerner plus que le visible, nous serions aussi témoins de ce qui se passe dans le ventre des mères et verrions comment un amas cellulaire se transforme en être humain. Nous saurions alors qu’en gros, notre développement se fait à partir de trois tuyaux. Le premier tuyau nous traverse tout entier et fait un nœud à peu près en son milieu. Il s’agit de notre système sanguin, à

partir duquel se forme le cœur, nœud principal de la circulation. Le deuxième tuyau se constitue presque en même temps que le premier et forme une bulle qui remonte jusqu’à l’extrémité supérieure de notre corps pour s’y installer. Voilà, ancré dans la moelle épinière, notre système nerveux. Il donne naissance au cerveau et à un réseau de nerfs qui rayonnent dans tout le corps. Le troisième tuyau nous traverse de haut en bas. C’est notre tube digestif.

Le tube digestif est l’architecte intérieur de nos entrailles. Il dessine à droite et à gauche des bourgeons qui gonflent de plus en plus jusqu’à devenir nos poumons. Un peu plus bas, il se retourne comme une poche de pantalon pour former notre foie. Il donne aussi naissance à notre vésicule biliaire et au pancréas. Mais surtout, le tuyau en lui-même devient de plus en plus malin. Il participe aux chantiers de construction dans la cavité buccale, élabore un œsophage pro du remue-ménage et forme un petit “panier-repas” où nous pouvons stocker des provisions pendant plusieurs heures. Enfin, cerise sur le gâteau, le tube digestif crée son chef-d’œuvre : l’intestin.

Les deux “chefs-d’œuvre” des deux autres tuyaux – le cœur et le cerveau – ont toute notre considération. Nous jugeons le cœur indispensable à la vie parce qu’il permet au sang de circuler dans tout notre corps, et nous admirons le cerveau parce qu’il est capable de former des pensées étonnantes à chaque seconde. Pour ce qui est de l’intestin, en revanche, la plupart d’entre nous pensent qu’il n’est bon qu’à se vider. Le reste du temps, il feignante sans doute, pendouille inutilement dans le ventre et lâche peut-être un pet de temps à autre.

La cavité buccale, ce vestibule qui s’ouvre sur notre tube digestif, a elle aussi de quoi nous surprendre – et pourtant, armés d’une brosse à dents, nous passons chaque matin plusieurs minutes à l’explorer.

Glandes salivaires : surprise!

Pour découvrir son jardin secret numéro un, il nous faut envoyer notre langue en éclaireuse. En inspectant le vestibule, elle va trouver quatre petites papilles. Les deux premières se situent à l’intérieur des joues, à hauteur de la rangée de dents supérieures, à peu près au milieu. En découvrant ces petites bosses, à gauche et à droite, vous croirez peut-être, comme beaucoup de gens, vous être mordu la joue. En réalité, ces deux protubérances existent chez tous les êtres humains. Les deux autres papilles se trouvent sous la langue, de part et d’autre du frein. C’est par ces quatre petits trous qu’est excrétée la salive.

Les orifices des joues fournissent de la salive quand la situation s’y prête, par exemple au moment des repas. Les orifices cachés sous la langue, eux, travaillent en continu. Si l’on pouvait entrer par ces petits trous et nager à contre-courant dans le canal excréteur, on arriverait aux glandes salivaires en chef, qui produisent la majeure partie de la salive – à raison d’environ 0,7 à 1 litre par jour. Palpez votre cou en remontant vers la mâchoire, et vous sentirez deux petites saillies molles. Ce sont les chefs.

Les deux papilles de ces glandes dirigent leurs sécrétions tout droit sur la face palatine de nos incisives inférieures. Résultat : le tartre s’y installe volontiers. La salive contient en effet des ions calcium dont le rôle est de renforcer l’émail des dents, ce qui est plutôt sympa. Mais pour une dent qui se trouve constamment dans la ligne de mire, le mieux est l’ennemi du bien : avant même d’avoir eu le temps de dire “ouf”, d’innocentes petites molécules qui passaient par là sont alors pétrifiées avec le reste. Jusque-là, rien de dramatique. Sauf qu’une dent couverte de tartre devient rugueuse. Et que les bactéries à l’origine de la parodontite ou des caries se fixent plus facilement sur cette surface irrégulière que sur notre émail naturellement lisse.

Mais comment ces ions calcium aux superpouvoirs pétrifiants arrivent-ils dans notre salive ? La salive, c’est du sang filtré, passé au chinois par les glandes salivaires qui retiennent les globules rouges, plus utiles dans nos veines que dans notre bouche. Le calcium, les hormones et les anticorps du système immunitaire contenus dans le sang, en revanche, passent dans la salive. C’est ce qui explique que sa composition varie légèrement d’un individu à l’autre. Un prélèvement de salive peut même permettre de déceler une maladie immunitaire ou la présence de certaines hormones. Par ailleurs, les glandes salivaires peuvent aussi ajouter quelques ingrédients supplémentaires, comme les ions calcium superpétrifiants ou encore des antidouleurs.

Notre salive contient une substance antalgique bien plus puissante que la morphine : l’opiorphine. Celle-ci n’a été mise en évidence que récemment, en 2006, par les chercheurs de l’Institut Pasteur. Évidemment, nous ne produisons cette substance qu’en très petites quantités : notre salive n’est pas là pour nous mettre KO. Mais qu’importe, une dose infime suffit déjà, car notre bouche est une âme sensible. Les terminaisons nerveuses y sont plus nombreuses qu’en n’importe quel autre endroit du corps : un minuscule morceau de fraise coincé entre deux dents a le don de nous agacer prodigieusement, et nous remarquons le moindre grain de sable dans une salade mal lavée. Dans la bouche, une petite plaie qui passerait inaperçue au niveau du coude nous paraît démesurément grosse et devient une vraie torture.

Sans les antidouleurs de notre salive, ce serait pire. En mâchant, nous sécrétons une dose supplémentaire de ces substances salivaires. Du coup, nos maux de gorge semblent s’atténuer après les repas et les petites plaies de la cavité buccale nous font moins mal. D’ailleurs, il n’est même pas nécessaire de manger : pour ouvrir les portes de notre propre armoire à pharmacie, il suffit de mâcher un chewing-gum. Et ce n’est pas tout : quelques études récentes ont aussi montré que l’opiorphine avait des propriétés antidépressives. Se pourrait-il donc que notre tendance à manger pour faire passer une frustration ou une angoisse ait un rapport avec les vertus de notre salive ? Dans les années à venir, les recherches menées sur la douleur et la dépression seront peut-être à même de nous le dire.

Dans la cavité buccale, la salive joue ainsi le rôle d’un grand frère protecteur qui tient à distance la douleur, mais aussi les bactéries. C’est là qu’interviennent les mucines. Ces protéines visqueuses

contenues dans notre salive offrent à chacun de nous quelques heures de grand spectacle – quand, enfant, nous nous apercevons que nous pouvons faire des bulles avec notre salive. Grâce à qui ? Grâce aux mucines. Les mucines enveloppent nos dents et nos gencives dans un film protecteur. Nous les projetons à partir des papilles salivaires, un peu comme Spiderman déploie sa toile depuis ses poignets. Les bactéries sont emprisonnées dans ce film avant même de pouvoir attaquer. Et tandis qu’elles sont ainsi neutralisées, d’autres substances antibactériennes contenues dans la salive se chargent de faire le ménage.

Comme pour les antidouleurs salivaires, la concentration en substances tueuses de bactéries est plutôt modérée. Il ne s’agit pas d’un nettoyage à l’eau de Javel. Au contraire, il nous faut toujours avoir sous la main – ou plutôt sous la langue – une petite équipe de joyeux microbes. Les plus sympathiques des bactéries bucco-dentaires ne sont pas exterminées par la salive, car elles occupent ainsi une place qui, sans elles, pourrait être colonisée par des germes dangereux.

Pendant notre sommeil, la sécrétion de salive est nettement ralentie. C’est une bonne nouvelle pour tous ceux qui dorment la bouche ouverte, car si nous produisions la nuit les quantités journalières habituelles, soit 1 à 1,5 litre de salive, le résultat sur l’oreiller ne serait pas beau à voir le matin. Mais cette réduction nocturne de la salivation a aussi des effets moins agréables : beaucoup de gens, au lever, ont mal à la gorge ou mauvaise haleine. Huit heures de rationnement salivaire, pour les microbes bucco-dentaires, cela signifie en effet : à nous la liberté ! Les vilaines bactéries ne sont plus aussi bien chaperonnées, et les muqueuses de la bouche et du pharynx attendent avec impatience le déclenchement matinal de l’arrosage automatique.

Voilà pourquoi le brossage des dents au coucher et au lever est une invention ingénieuse. Le soir, on réduit le nombre de bactéries dans la bouche, et la liste des invités à la super-soirée microbienne s’en trouve limitée d’autant. Le matin, on fait le ménage et on élimine les restes de la fiesta nocturne. Par chance, nos glandes salivaires se réveillent en même temps que nous et lancent aussitôt la production. Au plus tard avec la première tartine ou le brossage de dents, la salivation atteint son rythme de croisière, et les microbes sont éliminés ou transportés vers l’estomac, où le suc gastrique prend la relève.

Si la mauvaise haleine persiste au cours de la journée, c’est peut-être parce qu’on n’a pas réussi à éliminer assez de bactéries nauséabondes. Les petites malignes aiment se cacher sous le film de mucine fraîchement déployé, où elles sont moins accessibles pour les substances salivaires antibactériennes. Dans ce cas, il peut être utile de recourir à un racloir à langue… ou encore de mâcher du chewing-gum : mâcher stimule la salivation, et le flux de salive emporte avec lui les bonnes planques. Si tous les traitements s’avèrent inefficaces, il faut chercher ailleurs : il existe encore un endroit où les bactéries fétides peuvent trouver refuge. Nous y viendrons dans un instant, mais d’abord, laissez-moi vous ouvrir la porte du deuxième jardin secret de la bouche : Tu me tires la langue?

Partir à sa découverte, c’est répéter une expérience classique : on croit connaître son prochain et, on découvre soudain un aspect complètement inattendu de sa personnalité.

La secrétaire au brushing impeccable gère sur Internet un élevage illégal de furets. Le guitariste du groupe de métal est aussi le meilleur client de la mercerie, parce que le tricot, c’est zen et ça assouplit les doigts. La première impression nous cache souvent de bonnes surprises, et notre langue n’échappe pas à la règle. Quand on tire la langue en se regardant dans la glace, on n’a pas encore tout vu……A suivre….

A suivre prochainement ou ….jamais ou bien …A vous de lire le bouquin, tellement bien écrit….une autre porte à ouvrir avec Coinspire…

Le PDF est sur ici …dans les livres gratuits en français.

https://www.coinspire.fr/blog/2022/04/11/des-livres-de-yoga/